Un café svp
Titre : Un café svp
Résumé : Un homme entre dans un bistrot à une heure où les clients sont peu nombreux. Il entame une interaction assez second degré avec le garçon de café. Le café est un alibi pour créer du lien entre ces deux personnages. La patronne reste à l’écart de l’échange, jusqu’au moment où …
Personnages : Le client, le garçon de café et la patronne du bistrot
Ext/jour -
L’histoire s’ouvre sur une rue piétonne avec des passants
On remarque un Mr d’âge mûr qui passe la porte d’un bistrot, LE MEKONG.
Int/jour -
Il entre et s’installe à une des tables du fond. De sa position, il a vue sur la rue.
Il retire son blouson aux motifs africains et le pose à ses côtés.
Sa chemise bleue est chic et bien repassée. Son pantalon couleur kaki lui sied parfaitement et ses chaussures Desert boot marron lui donnent une allure dynamique.
Il a une carrure sportive malgré ses cheveux poivre et sel et sa calvitie naissante.
Il s’assoit et sort machinalement son téléphone de sa poche. Il le pose devant lui et croise les jambes.
L’intérieur du bistrot est décoré dans une ambiance zen sophistiquée. Une combinaison d'une esthétique minimaliste et naturelle qui dégage une atmosphère paisible et détendue. L’ensemble constitue un espace élégant, calme et harmonieux. Des murs blancs, un comptoir gris, et du mobilier beige aux lignes épurées. Quelques plantes vertes soigneusement disposées.
Le garçon de café s’approche :
Bonjour Mr, je vous sers quoi svp ?
Un café, … noir.
Le serveur repart avec son plateau et son tablier impeccable. Sa chemise blanche est immaculée et ses manches retroussées jusqu’à la moitié du bras.
Il commence la préparation du café au comptoir avec des gestes presqu’automatiques.
Il recueille le café giclé par la machine dans une tasse double paroi transparente assez design et porte la commande au client.
La patronne, une belle femme de 40 ans a des traits métissés. Des yeux qui évoquent l’Asie et une chevelure brune qui encadre magnifiquement son maquillage sobre. Elle est postée devant la caisse et note quelque chose sur un cahier à spirale bleu.
Le garçon de café pose la tasse à la table du client :
Votre café Mr.
Le client est calme. Il soulève la tasse et scrute son breuvage. Il s’adresse au serveur :
Le café ! … noir svp.
Il a un ton sûr et amical. Un brin espiègle. Il poursuit :
Pas marron mais noir ! … Noir comme une aube qui se refuse à l’horizon. Noir comme un soir de défaite. Noir comme un cœur sans espérance. Noir comme un ancêtre du Soudan !
Le serveur est déstabilisé mais répond avec le sourire :
Pardon Mr, nous servons des cafés ici, on ne fait pas de littérature.
Le serveur est jeune, à peine plus de la vingtaine. Ses traits sont réguliers et son regard vairon lui donne quelque chose d’énigmatique.
Le client poursuit :
Vous vous sous-estimez garçon, la vie est une poésie vibrante, peuplée de vers et de strophes libres.
Svp, j’ai fait un BEP hôtellerie restauration et je ne connais rien à la poésie. A part peut-être celle de Booba, rajoute-t-il en souriant.
Vous vous rasez le matin avant de venir travailler n’est-ce pas ?
Oui Mr.
Et après votre douche, quel parfum vous mettez ?
Azzaro Mr.
Eh ben c’est bien … vous voyez ? Vous essayez d’être agréable à ceux qui vous croisent. Et ça déjà c’est de la poésie, vous êtes un poète dans l’âme. Seulement vous n’y croyez pas ! Vous l’êtes comme par réflexe, sans vous embarrasser d’une approche analytique. Vous êtes un poète du vivant.
Je vous remercie Mr. … Mais qu’est-ce qu’on fait pour le café ?
Faites le noir, ne soyez pas timide.
Sans sucre alors ?
Noir mon cher, faites-vous confiance !
D’accord Mr.
Il repart alors avec la tasse de café.
La patronne, de sa position, avait vaguement prêté attention à leurs échanges. Le serveur lui explique que le client demande un café noir de chez noir. Elle garde une expression neutre et lui demande d’en refaire un. Un espresso tout ce qu’il y a de plus simple.
Il fait l’espresso et le porte au client avec un large sourire. Il le pose avec délicatesse sur la table.
Votre café noir Mr. … Noir comme du khôl sur les yeux d’Oum Kalthoum. Noir comme la nuit de mon premier chagrin d’amour. Noir de chez noir !
Le client reste impassible et observe la tasse posée devant lui.
La lumière du soleil projetait l’ombre de la tasse en une figure qui pourrait rappeler un animal. La vapeur s’élevait de la tasse avec douceur et la crème au-dessus du breuvage noir était épaisse.
Le client répond :
Vous êtes sûr qu’il est assez noir ce café ?
Sûr ! Ma patronne a une palette pour ça, et votre café est le plus noir possible. Noir comme un cœur rempli d’émotions inhumaines. Noir comme un trou noir. Croyez-moi, on n’est qu’à une teinte du vantablack !
Le client saisit alors la tasse double paroi transparente par l’anse et observe les reflets de son café. Il a une mine neutre, impassible et sans émotions. Les bulles continuaient à s’évanouir dans la couche de crème, de plus en plus fine.
Le serveur remarque alors qu’il manque un doigt au client. Il scrute sa main massive aux doigts soignés et revient à son visage, net et élégant.
Le client goutte alors son café.
Presque sans le vouloir le serveur se sent tout à coup nerveux. Ce café est-il assez noir ? Il attend le verdict dans une tension qui transparait dans sa posture. Ses épaules s’élancèrent vers l’avant, emportant son dos et son cou qui semblaient se contracter. Les muscles de sa mâchoire se crispèrent pour se synchroniser avec ses doigts qui s’agrippaient à son plateau.
Tout ça pour un café ! se dit-il dans sa tête.
Le client prend son temps et ausculte l’air songeur, la petite gorgée de café qu’il a en bouche. Tel un sommelier il scrute la teinte, la robe et les arômes de ce café.
Les reflets du soleil dans le bistrot donnaient à cette scène quelque chose de solennel.
Le garçon de café s’était pris au jeu. Il était toujours là, immobile, impatient d’entendre le verdict.
Vous savez garçon, vous n’êtes pas loin du résultat idéal. Vous avez eu peur d’accorder des teintes de noir … comme avec l’outrenoir de Soulages. Mais le résultat est honnête.
Son regard était devenu plus expressif. Un brin souriant.
Il faut croire en vous garçon. La vie est une poésie.
La patronne, qui avait installé des lunettes à montures noires sur son visage commença à dévisager ce drôle de client. Son visage lui rappelait quelqu’un. Elle tapotait sur le cahier à spirale avec son stylo tout en cherchant. Petit à petit elle commença à se rappeler. Ses doutes se dissipèrent quand elle remarqua aussi qu’il manquait un doigt au client.
Le garçon de café était revenu à son poste derrière le comptoir. Il remarqua que le visage de la patronne avait changé.
Contrairement à son habitude, elle est venue s’assoir à la table du client. Lui, un sourire timide sur les lèvres, la fixa intensément.
Ces deux-là se connaissaient. Sans se concerter, ils éclatèrent de rire tous les deux. Elle l’avait croisé à Phuket l’été dernier, dans un lieu nommé Café Noir.
FIN
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