Conversation entre moustiques - part2

 

C’est la fin de nuit. Les uns et les autres sont repus. Quelques-uns ont fini aplatis contre des murs crasseux et d’autres ont explosé sous des claques réflexes de dormeurs irrités. Il y en a même qui ont redécoré les draps dans des demeures minables, où les taches de sang composent des toiles de maitres.

Pour tous ces moustiques, manger, c’est aller à la chasse. Traquer de l’humain, être rusé, respecter le timing, choisir le menu qui vous convient. A l’angle d’une pièce exiguë et encombrée, quelques survivants racontaient leurs expériences de la nuit quand une plainte retentit :

-     - Putain notre vie est si duuuuuuuuuuure. Merde. Les chinois ont asphyxié ma go avec une saloperie d’insecticide. Elle est dans le coma la pauvre. Tout allait bien pourtant. La clim, la bouffe chinoise, le calme et tout. On s’était réfugié dans l’armoire pour faire une pause avant d’attaquer les mollets. On somnolait au calme sur un cintre. La fourberie des chinois ce n’est pas une légende les gars.

-     - Parle pour toi ! Moi ma famille vient du Niger et si je te raconte tu ne me croiras pas. Ici tu as la belle vie, enfoiré.

-     - Toi, laisse tomber tes histoires de Niger, ma go ne respire plus. Elle est par terre dans le placard. On doit la sauver.

-     - Qui ça ON ?

-    - Mais tu es un vrai égoïste toi. Tu n’as pas de cœur ? Ta maman ne t’a pas assez aimé quand tu étais petit ?

Son compère de la veille arrive, un peu épuisé. Et il poursuit alors avec verve :

-    - Mon frère, tu tombes bien, il y a urgence, une fille à sauver. Une princesse, une diva. C’est la meuf de Lagos dont je t’ai parlé hier. Bien nourrie, en forme, avec un teint propre. Je l’ai amené bouffer chinois comme je t’ai dit. Oreille, joue, cuisse, un menu complet. Tout allait nickel et subitement, bombardement à l’arme chimique. Sans prévenir. Ces asiatiques sont des monstres.

-    - Ah bon ! Yako, mon frère. Il va falloir te trouver une autre meuf.

-    - Quoi ? Mais qu’est ce qui vous arrive à tous ce matin ? C’est l’amour de ma vie, putain ! Je voulais fonder un foyer avec elle et me caser, bordel.

-    - Eeeeh … mec ! Calme-toi. C’est notre destin de moustiques. Chaque nuit c’est l’hécatombe et on ne s’est jamais plaint. Apparemment toi tu as besoin de prier plus souvent. Tu oublies l’essence même de notre condition de moustiques. Tu as lu « Les 9 chemins de la destinée » ? c’est une prophétie qui …

-    - Fais chieeeeeeeeerrrrrrr ! Je te parle de ma go, mec. Qu’est ce que tu me soules avec des histoires de prophète. Allons la récupérer dans le placard, je suis sûr qu’on peut la réanimer.

-    - Tu vas devoir faire preuve de bravoure et y retourner seul mon gars. En plus, les containers, même climatisés c’est pas trop mon truc. Moi j’ai perdu deux partenaires pendant la nuit et je m’en suis remis. J’ai même failli rester coincé dans les mailles d’une moustiquaire en plein cœur d’un ghetto. Tu t’imagines ! Même eux ils dorment sous moustiquaire les bâtards !

-    - Je vois. En fait vous êtes tous des merdes sans cœur. Entre le nigérien qui me raconte sa vie de galérien et toi qui me parle de prière, il n’y a pas d’espoir pour moi. Ecoute, toi et moi on ne se connait plus. Oublie-moi.

-    - Ouais c’est ça, vas-y, casse toi. Je ne voulais même pas te parler des athlètes jamaïcains qui ont débarqué. On va varier notre régime alimentaire seuls. On n’a pas besoin de toi. En plus ils fument de la bonne donc on va se mettre bien sans toi.

-    - T’es qu’un connard, un aigri congénital. J’ai toujours su que tu n’étais qu’un faux frère. Et puis … je ne vais nulle part. Rien que pour te faire chier je vais bouffer jamaïcain aussi. Pauvre con. N’empêche, elle était bonne la go de Lagos. Quand je pense que je vais devoir faire une publication RIP avec sa photo, ça me fend le cœur.

-    - T’inquiète, ça va aller.

 

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