Conversation entre moustiques – part5
Aujourd’hui,
réunion au sommet entre les chefs des différents clans de moustiques. Deux
sujets à l’ordre du jour : la prolifération des moustiquaires imprégnées et
l’arrivée d’étudiants haïtiens. Le boss de chaque clan vient avec une escorte
de gros bras et deux de ses plus belles représentantes.
Nos deux
compères sont de deux clans rivaux. La réunion a lieu dans un basfond près des
abattoirs. Sur place ce sont les mouches qui tiennent le coin et qui sont
chargées de conduire les débats. Un décor de broussailles et d’herbes hautes,
avec une odeur pestilentielle. C’est un peu la Suisse pour les mouches. Des
asticots à perte de vue et des carcasses qui pourrissent.
La première
délégation à se pointer ce sont les tigres, avec leurs rayures élégantes.
Suivis de près par le clan du désert, reconnaissable au look sombre et à la
carrure svelte qui les distingue. Puis ce fut au tour du clan de la côte de
faire son entrée. Plutôt enrobés et bruyants par nature, ils sont arrivés en
chantant un hymne à leurs ancêtres des marécages. Une mélodie de toute beauté
qui contraste tout de même avec le silence oppressant du clan du désert. Enfin,
les pygmées ont débarqué, mystérieux et solennels.
Par pure
courtoisie, certains représentants étrangers, comme les transgéniques et les
barbus des montagnes, ont été invités. Tout le monde était en place et les
échanges pouvaient commencer. La représentante de la reine des mouches plante
le décor :
- Bon,
distingués invités, honorables moustiques, … bienvenu à tous. Je sais qu’on ne
bouffe pas la même merde mais c’est un plaisir pour nous de vous recevoir. Je
vais essayer d’être bref. Primo, quelle est la conduite à tenir face à la
prolifération des moustiquaires imprégnées ? Et secundo, comment se partager le
stock de rations haïtiennes qui vient d’arriver ? Je passe la parole aux
premiers venus, les tigres.
Le chef des
tigres avait une mine patibulaire et un tic nerveux qui lui faisait se frotter
la trompe de façon compulsive. Ce n’était pas un orateur brillant et surtout il
était d’une franchise un peu brutale.
- Pour nous,
les moustiquaires imprégnées c’est une véritable déclaration de guerre. Est-ce
que nous on va pulvériser des produits radioactifs sur la bouffe du bétail
humain ? Dans deux ou trois générations, c’est sûr on va trouver un antidote.
Mais d’ici là il risque d’y avoir des actions terroristes en représailles. Et
pour les menus haïtiens, ça ne fait aucune différence pour nous. Ce sont des
gars d’ici qui ont un peu voyagé. Fixons juste clairement un chronogramme pour
ne pas se marcher sur les pieds et puis c’est tout.
Le clan du
désert avait à sa tête un chef agressif qui portait des traces de combat sur
les ailes et avait une patte coupée.
- S’ils veulent
la guerre avec leurs moustiquaires empoisonnées, eh ben ils vont l’avoir. Déjà
le principe même des moustiquaires était une fraude à laquelle on s’est fait
sans trop rechigner. Maintenant qu’ils ont décidé de passer à un niveau plus
grave, mon clan s’y oppose fermement et est prêt à fournir des kamikazes pour
frapper ces vils coupables. C’est la survie de nos familles qui est menacée et
cela est totalement intolérable. Pour les repas haïtiens, nous on s’en fout.
Donnez-nous une tranche horaire pour les prélèvements et on s’y tiendra.
Le clan de la
côte était plutôt volubile et bien connu pour ses formules complexes. Leur
cheffe était une femelle robuste à la présentation soignée.
- Communiquer
est fondamental pour harmoniser les points de vue et frustrer à minima les
divers desseins. On est tous d’accord que les moustiquaires imprégnées
assassinent des milliers d’honnêtes moustiques, qui n’ont commis qu’un crime,
celui de vouloir se nourrir et procréer. J’appelle cela ni plus ni moins qu’un
génocide.
L’assemblée
acclame vigoureusement et manifeste son approbation en scandant divers slogans.
- C’est un
crime de masse qui nous laisse un arrière-goût amer. Mais c’est en se
concertant que nous allons trouver la meilleure parade à ces méthodes barbares
et lâches du bétail humain. Cela ne nous arrêtera pas mes frères et sœurs
moustiques, ça c’est certain.
Elle réajuste
sa toge avec des gestes élégants et un brin sensuels. Une de ses accompagnatrices
lui éponge le visage pendant que ses gros bras restent impassibles.
- Vivre, c’est
d’abord se nourrir. Et nous y parviendront, même s’il faut s’en prendre aux
proies en plein jour. Les menus haïtiens quant à eux, peuvent représenter une
excursion gustative pour les plus jeunes. Une occasion de se former le palais
et de comparer avec le menu local. Je vous remercie pour votre écoute et
souhaite plein succès à cette rencontre.
Au tour des
pygmées de prendre la parole, avec un accent chantant qui faisait rire les
mouches. Leur chef au regard carnassier, se fit assez bref.
- Bon, nous on
chasse généralement en plein jour donc on n’est pas très affecté par les
moustiquaires imprégnées. On se ravitaille en prison et dans des zones
hostiles. Mais on doit régler la question d’empoisonnement pour notre bien à
tous. Ensuite on est allergique à la bouffe venue d’ailleurs donc on vous
laisse les plats haïtiens. Merci.
Nos deux
compères, quelque peu passifs et passablement ennuyés par la cérémonie, ont
tout de même suivi assidument les interventions, et échangent un regard
complice.
by ISHAQ
L'artiste
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