Conversation entre moustiques ­- part6

 

Deux copines moustiques discutent en se maquillant. L’abdomen galbé mais encore vide, nos deux reines de la nuit papotent.

-       - Elle te va bien ta coiffure. J’aime bien la teinte noire fluo.

-       - Quand j’étais petite je voulais être journaliste. Interviewer des stars comme JUJU …

-       - Ah ouais, le mec qui a piqué la couille du pape !

-       - Un exploit !

-       - La star absolue !

-       - J’ai suivi son interview dans « La trompe enchantée », il est resté simple le gars. Il piquait toujours des pauvres.

-       - Un vrai mec. Dommage qu’il ait fait une dépression.

-       - Ben ouais, le gars a été quand même accusé d’anticatholicisme, merde.

 

Ce que beaucoup de gens ignorent, c’est que les femelles moustiques ont plusieurs maris dans leur vie. Parfois 4 ou 5, parce qu’elles vivent jusqu’à 2 mois quand les mâles crèvent en moins de deux semaines. Et encore, c’est pour ceux qui ont échappé aux claques, aux dormeurs qui se retournent par inadvertance, aux mailles traitres de certaines moustiquaires, et aux fumées des spirales antimoustiques parfumées à la citronnelle.


-       - Mon premier mari était cuisinier, il a fait faillite en s’obstinant à proposer de la bouffe végan.

-       - Oh le boulet ! Je ne l’ai jamais vraiment aimé.

-       - Mais il était mignon !

-       - Moustique et végan ? Sa mignonnitude est multipliée par zéro !

-       - Et il était aussi un bon père.

-       - Tu me diras, moi j’ai été 3 fois avec des policiers. Chaque soir ils m’interrogeaient sur ma journée, ils me menottaient, me fouillaient et me mettaient en garde à vue.

-       - Tu dois être un peu maso à mon avis.

-       - Ils sont où d’ailleurs nos maris du moment ?

 

Perchés sur un squelette de sandale à l’abandon dans un coin de la véranda, nos deux compères moustiques esquivent les dernières volutes d’une spirale antimoustique qui consumait son centre. L’un d’entre eux suffoque dans cette ambiance moite et se lamente :

-         - Franchement, je suis à bout de souffle. Et quand tu penses que c’est pour protéger ces mollets maigres et dégoutants qu’ils s’empoisonnent eux-mêmes ça fait pitié. Si ce n’est pas par charité, qui boufferait de cette merde avariée ?

Le second moustique somnolait en secouant ses ailes, visiblement fatigué. Il parvient tout de même à bredouiller quelques mots :

-         - J'ai cru que j'allais m’évanouir en m’attaquant aux aisselles de la grosse dame. Je suis resté en apnée près de 30 secondes. Il n’y a vraiment plus rien à se mettre sous la trompe dans cette piaule.

-         - Moi je suis allé voir dans la pièce voisine, le mari dort tout habillé et le bourdonnement de son ventilateur chétif et à l’agonie m’a fait croire que j’étais dans un film d’horreur. Le gars était ivre mort donc j’ai pu prélever une dose sans trop risquer ma peau. Mais je peux sentir au goût de son sang qu’il boit de la merde.

-         - Du soto frelaté surement.

 

Un silence pesant s'installa, larvé par intermittence par le bruit lointain d'une soirée qui avait lieu dans le voisinage.

-         - Ils fêtent quoi là-bas ?

-         - Le nouvel an !

-         - Ah ouais, deux mille vingt … quelque chose ils disent. Mais on est là depuis bien plus longtemps. Quelle arnaque !

-         - Alors comment ça se passe avec ta meuf ?

-         - On s’est réconcilié la nuit dernière. J’ai dû la sortir, on a été bouffer à la campagne. C’était sympa. Cocktail de sang bio, cuisse d’agriculteur, dessert de pubis poilu, la totale.

-         - Eh ben, tu t’es pas emmerdé toi. Et tu m’as laissé me coltiner les vieux déchets ici.

-         - Moi j’aime bien la ville tu sais. Il faut esquiver les claques c’est vrai mais avec un peu de patience, on peut bouffer du militaire en faction, du taulard désœuvré ou de la pute assoupie. Le danger actuellement ce sont les moustiquaires imprégnées. Une calamité !

 

Soudain, un frisson d'horreur parcourut leurs minuscules corps. Cette invention les terrorise. Ils n’osent même pas bouger une antenne.

-         - C’était mieux avant. Avec ces toiles maudites, les festins nocturnes se font de plus en plus rares et risqués.

-         - Bon, et si on allait retrouver nos femmes.

-         - Elles s’apprêtent pour la nuit, on a le temps.

Nos deux compères restent perchés sur la sandale décharnée à ruminer leurs vies et leurs frustrations nocturnes.

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