Conversation entre moustiques ­- part8

La nuit tombait déjà et le ghetto « 15 kilos » était maintenant très animé. Un mix improbable de gueules cassées et de jeunes audacieux. Le tout entouré de nombreuses femelles au charme insolent.

En 40 jours de vie, les femelles ont plusieurs « moustiques de leur vie » même si elles ne se reproduisent qu’avec un seul. Elles affichent donc une vie sentimentale et une sexualité décomplexées.

·         15 kilos, viens, je veux te parler.

 

La femelle qui lui parle est sa cinquième compagne. Belle à se damner et très sûre d’elle, elle a connu déjà trois compagnons. Dans le monde des moustiques, leurs statuts pourraient équivaloir à « baron contrebandier », « chirurgien » et « banquier ».

Elle emmène « 15 kilos » derrière une bassine rouillée et lui donne un tuyau pour un braquage. Tout en lui parlant, elle touchait de façon très suggestive ses muscles, principaux atouts du chef gang.

·         Ok ! On va gérer ça avec mes gars.

 

C'était une nuit chaude et humide. Il y avait un monde fou au ghetto « 15 kilos » et dans les airs, un ballet aérien s'était formé. D’invisibles faisceaux de phéromones, émis par les femelles qui volent avec grâce et volupté, attiraient une nuée de mâles.

Ces derniers doivent séduire, s'aligner avec précision sur le vol de la femelle, puis en position "tête-bêche", s'accoupler assez vite avec elle. Pendant une trentaine de secondes, leurs deux corps ne forment plus qu'un seul être guidé par d’obscures lois séculaires de la survie.

Les femelles fécondées se précipitent alors pour aller pondre leurs œufs dans l’étang au centre du ghetto « 15 kilos ». Autant dire que le coin était plutôt fertile. Les mâles, comme « 15 kilos » lui-même, se dépêchent de recommencer cette danse aérienne avec une autre partenaire. Ainsi de suite, toute la nuit durant, son but unique étant de transmettre ses gènes.

Ce ballet est tout de même assez bref. Il revient aux mâles de localiser de nouvelles femelles non fécondées à chaque fois. Puis la tranquillité de la nuit reprend ses droits. Parsemée d’actes héroïques des femelles pour se nourrir de sang. Une existence vouée à la survie.

« 15 kilos » avait son harem et son groupe d’élite. Curieusement le membre qu’il estimait le plus était un ancien de la bibliothèque qui savait beaucoup de choses sur milles et une choses. Il aimait écouter parler ce moustique borgne à la trompe amputée. Un survivant qui est sorti vivant d’un livre après y être resté coincé pendant près d’un quart d’heure.

15 kilos n’était pas un mauvais gars dans le fond. Il a perdu ses parents dans un accident regrettable. Ecrasés contre le faux cuir d’un divan par un sac d’ignames un beau matin, ils ont agonisé près d’une heure. Il a donc grandi avec des divorcés sociaux, en ayant pour seule motivation, être le plus fort.

Son seul rêve, sa seule ambition, c’est d’être chef. Chef de la police, chef d’un département de recherche, chef ghetto, juste chef. Il est devenu chef ghetto en se battant contre un vieux de 12 jours qui voulait le faire recracher. Par accident donc. Car le vieux était un marabout qui gérait ce lieu.

Son seul projet pour l'avenir est de marquer son secteur. A peine deux nuits après sa prise de pouvoir, il y a eu un grave conflit avec les moustiques tigres qui a mis en péril la survie du ghetto. Il a dû faire preuve de bravoure et combattre toute une nuit à mains nues. A partir de ce moment, il était devenu un chef respecté et le coin a été rebaptisé « ghetto 15 kilos ».